Par Adrien Grimmeau
Depuis la Renaissance, on a considéré la peinture comme « une fenêtre sur le monde » : la toile se présentait comme une ouverture sur un paysage, une marine, un portrait. La situation a évolué au XXè siècle avec la peinture abstraite, qui a proposé à la fenêtre l’alternative de la frontalité. Une œuvre ne constituait plus forcément une ouverture vers l’extérieur mais, étrangement, vers l’intérieur : l’artiste faisait face à un mur sur lequel il projetait, de manière parfois violente, ses pulsions. Cette réflexion entamée dans les années 40 fut synthétisée en 1951 dans l’exposition parisienne « Véhémences confrontées », qui réunissait pour la première fois artistes européens (Hartung, Mathieu, Fautrier, …) et américains (Pollock, Tobey, …) sous l’égide du critique d’art Michel Tapié. Sous les étiquettes d’expressionnisme abstrait, d’art informel ou encore de tachisme, la toile apparut alors comme une arène, lieu de conflit entre l’artiste et lui-même, son art, ou la société.
Antoni Tàpies a profondément investi la métaphore du mur. Denis De Mot se place dans son sillage. Il ne s’agit pas ici du lieu d’une projection impulsive. Si l’on prolonge l’image de l’arène, l’artiste se tient plutôt au bord de la piste, au pied des tribunes, et il pose ses mains contre le mur d’enceinte. Il en toucherait la texture, à la recherche de fissures, de taches de sang et de sueur séchées, de trous laissés par les coups de cornes des taureaux.
Si l’œuvre porte les traces d’un passage, ce n’est pas celui conflictuel de l’artiste, mais celui plus insidieux du temps. Il s’en faut de peu pour que l’on oublie qu’une main humaine est à l’origine de ces peintures, tant elles semblent naturelles.
Les traces du temps constituent le vocabulaire du peintre : réseau de craquelures, griffes, empreintes rouillées recouvrent une minutieuse succession de strates. C’est la technique qu’a mise au point Denis De Mot. L’artiste superpose sur son panneau de PVC des couches de gouache et d’acrylique, parfois plus de vingt, sur lesquelles il revient parfois pour les fouiller à la manière d’un archéologue, grattant ce substrat pour mettre au jour l’une ou l’autre couche antérieure. Au final, l’œuvre fait ressurgir des états anciens d’existence, comme si elle avait traversé les âges. Selon les termes du peintre : « Je construis du temps ».
Le temps : c’est bien là la clé de cette œuvre qui parle de notre mémoire du passé. Aucune image précise n’est représentée pour nous dicter un sentiment particulier. Plutôt, les traces multiples, voire les lignes de peinture que place l’artiste sur ses compositions, apparaissent comme des guides dans les méandres de notre mémoire personnelle, à la manière d’une topographie mentale. Sont convoqués ici des souvenirs ténus, sensoriels. Rien de précis, mais des sentiments diffus. En se fermant à la figuration, l’œuvre s’ouvre à l’imaginaire. Dans l’arène dont Denis De Mot a dessiné les murs, c’est le spectateur qui est au centre de l’espace, confronté à ses souvenirs. Loin de la primauté actuelle du « tout neuf », la peinture de Denis De Mot, entre usures et craquelures, nous éveille à une poétique du temps qui passe.
Décembre 2007.