Sous ses diverses formes d’expression, de tous temps et sous toutes les latitudes, l’art a constitué un champ fertile et privilégié pour l’avènement d’une dimension spirituelle dans la vie des hommes, déjouant par là leurs immanquables contingences et limites. Cette spiritualité leur a procuré, selon le lieu et le temps de leurs investigations, une panoplie d’outils appropriés au défrichement de leur Milieu et à l’attribution d’un Sens à cette Vie qui les porte.
C’est bien là le sens du propos de Philippe Roberts-Jones : « La réduction du complexe à l’intelligible, de la végétation au signe (…) et, bien au-delà sans doute, n’est possible que par un défrichement des données que l’on appréhende et une saisie de celles-ci par l’intuition qui prospecte.»[1]
Pour nombre de nos contemporains, la foi (avec ou sans majuscule) gît au creux de cette vie spirituelle. Elle est faite de bien plus de doutes que de certitudes. « Seul me captive ce qui m’échappe » disait le sculpteur André Willequet.[2]
C’est dans cette démarche que s’inscrit l’œuvre de Denis De Mot, laquelle revêt des contours où les notions de Lenteur, de Contemplation et de Vide prennent leur pleine signification. « J’ai un faible pour la lenteur, en peinture comme en toutes choses » aime-t-il d’ailleurs à répéter. Une telle œuvre – lente – révèle ainsi à l’observateur la mémoire des entreprises gestuelles et chromatiques de l’artiste, remettant avec conviction, et sans répit, son œuvre sur le métier.
Couleurs sourdes le plus souvent. Apolliniennes ? Comme celle du plomb, matériau lourd et dense autrefois travaillé par l’artiste. Aspérités matiéristes alternant creux et incises.
Le fond de l’œuvre donne toute sa mesure. Orbes et structures scandés tantôt en retenue, tantôt en envolée. Dionysiaques ? Maniement sensible des pigments, acryliques et gouaches, liants et colles libérant – et creusant à vif – les strates mates, cicatrices du support. Dans tous les cas, une entreprise picturale qui paie clairement son tribut au temps et à la patience. Ou ne sont-ce là que les décors changeants d’une pièce de théâtre qui, acte après acte, scène après scène et progressivement, s’ouvrent sur le dénouement quand tombe le rideau ?
Paraphrasant Serge Goyens de Heusch qui comparait l’œuvre de René Guiette à celle de Marc Tobey, Denis De Mot trace lui aussi « des signes (qui) se perçoivent comme des équivalences de sa vie intérieure et de sa méditation.» [3] L’œuvre invite certainement à la contemplation, plus qu’à l’expression et à la communication. C’est la qualité spirituelle intrinsèque de sa forme, de sa sobriété omniprésente.
L’artiste convie le public à partager son regard là où ombres, indices, sollicitations, symboles et traces suscitent chez chacun un voyage imaginaire. Car « l’art ne reproduit pas le visible, mais le rend visible »,comme disait si bien Paul Klee.
L’œuvre de Denis De Mot s’inscrit dans l’épure que propose la pensée Taoïste, qui réserve au vide la place prépondérante des origines. Comme l’écrivait le philosophe Chuang-Zu au IIIè siècle av J-C : « Ce qui est avant le ciel et la terre, c’est le Non Avoir, le Rien, le Vide.» Matisse, dans ses propos sur l’art, soulignait à son tour l’importance de l’espace entre les objets.
Dans maintes œuvres, et à l’image d’un Théodore Monod ou d’un Charles de Foucauld, l’artiste nous invite à marcher dans ses pas, loin des clameurs citadines, dans les sillons labourant ses tableaux, espaces fascinants comme le désert, là où, seul et sans bruit, souffle l’Esprit.
Vivons avec lui cette expérience éminemment humaniste d’une création que sa main autant que sa palette, fidèles au non montré comme au non dit, adoubent avec ferveur.
Michel Van Lierde
Collectionneur
[1] Philippe Roberts-Jones, « Image donnée, image reçue » Académie Royale de Belgique, 1989 p. 405.
[2] André Willequet « Entre forme et espace » Académie Royale de Belgique, 1997 p.10
[3] Serge Goyens de Heusch, « René Guiette » Fonds Mercator 1991, p.143.